Isabelle Bondant & Théo Zerbib sont deux jeunes de 24 ans diplômés du master en formulation à l’ISIPCA, passionnés de matières premières et de voyage. A l’issue de l‘obtention de leur diplôme, ils ont décidé de partir à la découverte des producteurs de matières premières naturelles de la parfumerie, dans le cadre d’un projet personnel : Nose on the Road. Interrompus dans leur élan par la crise sanitaire, ils racontent leur périple.

Comment est venue l’idée de ce projet ?

Lors de notre formation au sein de l’ISIPCA, cela nous est venu comme une évidence. En effet, nous avions la volonté d’approfondir nos connaissances sur les matières premières naturelles. Nous souhaitions nous rendre sur le terrain afin de comprendre les enjeux des producteurs, échanger avec eux et également sentir les matières premières dans leur milieu naturel avant leur extraction.

Vous avez fait vos économies ou un partenaire vous a accompagnés ?

Ce projet est auto-financé grâce à nos économies faites sur ces dernières années. D’être indépendants nous a permis d’avoir une véritable flexibilité dans l’organisation de notre itinéraire. En revanche, nous avons eu la chance d’avoir des entreprises qui nous on fait confiance et qui nous ont permis d’entrer en contact plus facilement avec les producteurs et qui nous ont accueillis dans leurs différentes filiales à travers le monde.

Partis en 2019, vous avez entamé un voyage olfactif d’un an à travers le monde : où en êtes-vous en ce début 2021 ?

Cela a été compliqué de rentrer brutalement mi-2020 suite à la crise sanitaire mondiale. Mais nos découvertes ont été si riches que nous avons toujours des articles à écrire. En ce début 2021, nous continuons d’être actifs sur notre site web et également par le biais de nos newsletters. Nous avons aussi de nouveaux projets en cours comme un podcast et plusieurs conférences.

Votre objectif de départ était de « sentir, rencontrer, s’ouvrir » : dans quel but ?

Il était important pour nous de considérer ce voyage comme une réelle ouverture au monde et à ses odeurs. Nous voyons ce projet dans sa globalité; ce n’était pas uniquement la rencontre des producteurs mais c’était avant tout une aventure culturelle et olfactive. C’était d’ailleurs dans ce but que nous avons mis un point d’honneur à vivre plusieurs jours avec les producteurs, découvrir la gastronomie de chaque pays et sentir les odeurs quotidiennes des différentes destinations. 

Quel bilan tirez-vous de ce périple ?

Nous avons pu constater de nombreux changements dans notre façon de penser et dans notre manière de vivre. Nous sentons différemment avec une prise de conscience du travail réalisé derrière chaque matière première. Nous avons encore plus le réflexe de sentir les odeurs qui nous entourent au quotidien. Ce périple n’est que le début de nos aventures olfactives, il a attisé nos envies de découvertes des matières premières.

Comment avez-vous choisi les destinations ?

En premier lieu, nous avons listé toutes les matières premières naturelles que nous voulions découvrir. A partir de cette liste, nous avons établi un itinéraire provisoire en fonction des saisons et des positions géographiques des matières. Nous avions donc pour projet de nous rendre dans une quinzaine de pays pour une durée de voyage de 2 ans.

Combien de pays avez-vous visités et comment avez-vous organisé vos séjours ?

En 6 mois de voyage, nous avons eu la possibilité de découvrir 5 pays : Madagascar, Sri Lanka, Indonésie, Inde et Népal. Pour trouver les différents producteurs dans chaque pays, nous avons commencé par monter un dossier afin de présenter notre projet lors du SIMPPAR, le Salon sur les matières premières. Nous avons ainsi pu obtenir plusieurs contacts grâce à ce salon mais également grâce à notre réseau. Une fois sur place, nous avons eu la chance de rencontrer des producteurs qui n’étaient pas prévus initialement dans notre itinéraire.

Plusieurs mois avant le départ, nous nous sommes beaucoup renseignés sur les voyages longue durée, pour l’ensemble des détails pratiques afin d’être préparés au mieux. Malgré tout, nous avons fait en sorte de ne pas mettre en place un programme trop précis nous permettant d’être ouverts à un maximum d’opportunités une fois sur place.

Vous avez rencontré des producteurs à travers le monde pour découvrir dans leur milieu naturel les matières premières emblématiques de la parfumerie. Quel souvenir marquant avez-vous de ces rencontres ?

Lors de notre séjour à Madagascar, nous avons eu la chance de créer un véritable lien avec un producteur de vanille et sa famille. En effet, nous avons eu non seulement l’occasion de découvrir ses productions de matières premières (vanille, petit grand mandarinier, baies roses…) mais également son mode de vie au sein de cette jungle malgache, à 8h de pirogue de la plus petite ville alentour. De passer une semaine dans ce village authentique nous a permis de nous immerger totalement dans le quotidien de ces villageois en découvrant leur gastronomie, en rencontrant les autres habitants et leurs productions (vétiver, vanille, gingembre, cacao…) mais également les rizières ou les plantations de manioc.

De l’ylang ylang malgache à la cannelle de Ceylan en passant par le oud indien, etc : quelles matières premières vous ont procuré le plus d’émotions ?

Lorsque nous avons pénétré au sein de l’usine de traitement des fleurs d’Ylang Ylang malgaches à Nosy Be, nous avons été émerveillés à la vue de ce tapis flamboyant composé de milliers de fleurs d’Ylang jaunes et vertes.

Nous nous sommes laissés envouter par le parfum suave solaire et vert croquant qui s’en dégageait
Au Sri Lanka, nous avons été marqués par la découverte de la production de cannelle, en partant de la récolte dans les champs jusqu’à la distillation à l’usine. Nous avons été frappés par ce tableau dans lequel se dessinait ces hommes torses nus, assis en tailleur, qui travaillaient férocement le bois de cannelle, avec l’odeur poussiéreuse et vibrante de l’écorce qui accompagnait parfaitement cette scène.

En Inde, lors de notre visite de la société Arista Life, nous avons vécu un moment hors du temps, transportés par les émanations du précieux bois de oud lors de sa fumigation. Par ailleurs, nous avons eu la chance d’admirer plusieurs qualités de Oud ainsi que ses huiles essentielles, tout en dégustant un thé à base de feuilles de Oud (une exclusivité de l’entreprise).

Vous avez raconté votre voyage en récits olfactif » : trouver des mots pour partager ce que vous voyez, ressentez était-il facile ?

 

 

 

 

 

 

C’était un voyage tellement inspirant, les découvertes étaient tellement riches qu’il était aisé de trouver les mots pour en parler. Nous avons taché de rédiger nos descriptions sur le moment présent afin d’être au plus proche de nos ressentis et de partager nos aventures de la manière la plus transparente possible.

Quelles nuances faites-vous entre odeurs, senteurs et parfums ?

Selon nous, il n’y a pas de nuance entre odeur et senteur. En revanche, le terme parfum peut avoir un double sens. En effet, nous pouvons employer le mot parfum dans le cadre du synonyme d’odeur (exemple : le parfum d’une rose = l’odeur d’une rose) mais également pour définir une composition parfumée constituée de plusieurs odeurs.

Epices, fleurs, fruits étaient aussi sur vos chemins : quelle est votre découverte la plus marquante ?

Nous avons été marqués, à Madagascar, par l’odeur bien particulière de la fleur de café. Le parfum de cette fleur nous a hypnotisés avec ses multiples facettes (nous l’appellions même « la fleur aux mille facettes ») avec comme notes principales le jasmin frais et la fleur d’oranger, accompagnées d’une fraicheur marine et d’une note gourmande miellée fruitée.

Sentez-vous/goûtez-vous les aliments différemment depuis ce voyage ?

En terme d’olfaction, nous nous sommes surpris à sentir encore plus les odeurs qui nous entourent et notamment dans la cuisine où nous sommes devenus davantage sensibles et attentifs aux épices et herbes aromatiques que nous utilisions.

Avez-vous changé votre manière de cuisiner depuis votre retour ?

Depuis l’Inde essentiellement, nous avons changé notre façon de cuisiner en utilisant une quantité bien plus importante d’épices (curry, cumin, curcuma, cardamome…) et de manière plus régulière. Nous avons aussi pris l’habitude de manger beaucoup plus de légumes.

Comment allez-vous utiliser ces découvertes dans votre métier ?

Toutes ces découvertes seront autant d’inspirations dans nos potentielles futures créations. De plus, il est intéressant d’avoir en mémoire l’odeur des matières premières dans leur milieu naturel et de ne pas se baser uniquement sur l’odeur de l’extraction car il peut y avoir parfois une différence notable.

En quoi ce voyage influence-t-il votre manière de travailler ?

Ce voyage a influencé notre façon de voir les matières premières. Nous avons développé une certaine conscience du travail et des personnes qui se cachent derrière ces flacons d’huiles essentielles. Désormais, lorsque nous sentons une matière première naturelle, se déroule devant nos yeux le champ de la matière en question, avec ces hommes et ces femmes travaillant la terre dans le but de l’obtention de ce précieux nectar.

Vous préférez travailler plutôt les parfums ou plutôt les arômes ou autre ?

Même si nous sommes sensibles depuis petits aux arômes en cuisine, nous préférons davantage travailler avec les matières premières de la parfumerie, synthétiques comme naturelles. Nous avons vocation tous les deux à devenir parfumeur et à travailler quotidiennement ces matières pour créer des compositions où nous pourrons transmettre différentes émotions. Ce voyage est d’ailleurs une réelle source d’inspiration pour nos futures créations.

 

 

Cela a-t-il changé votre manière de considérer le sourcing  ?

Il y a un réel intérêt à aller à la rencontre des producteurs de matières premières pour comprendre l’ensemble des enjeux auxquels ils doivent faire face. Certains procédés sont basés sur des techniques ancestrales et il peut être intéressant d’apporter aux populations reculées des solutions économiques et environnementales leur permettant d’améliorer leurs productions et leurs modes de vie. Il peut être également assez frustrant de sourcer de nouvelles odeurs, car il est assez facile de découvrir des senteurs intéressantes ; en revanche c’est un véritable défi d’arriver à proposer une extraction réalisable et rentable à long terme.

Vous avez créé un site dédié, des vidéos et réalisé des photos : à qui s’adresse le contenu ? Avec qui souhaitez-vous partager vos découvertes et dans quel but ?

Notre contenu se destine essentiellement aux personnes issues du milieu de la parfumerie car nous tentons d’être assez précis et détaillés dans nos articles en utilisant des termes professionnels. En revanche, il y a des personnes qui n’appartiennent pas forcément à ce milieu et qui ont plaisir à nous suivre à travers nos aventures olfactives. Nous avions envie de partager ces incroyables découvertes avec une communauté qui avait la même passion que nous de la parfumerie. Cela nous a permis de rencontrer des personnes exceptionnelles mais également de nous créer un véritable réseau.

Quels sont vos projets, forts de ce que vous avez vécu ?

Cela n’a pas été évident de se réorganiser avec cette crise sanitaire mondiale. Nous avions initialement prévu de repartir fin 2020 pour finaliser nos 2 ans de voyage, mais cela n’a pas été faisable. Nous continuons depuis malgré tout à faire perdurer notre projet avec le partage de nos découvertes olfactives que nous publions sur notre site.

Nous prenons désormais des chemins différents : Isabelle souhaite trouver du travail au sein de l’industrie de la parfumerie et Théo a pour objectif de repartir et continuer le projet dès que la situation le lui permettra.

https://noseontheroad.com

 

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