Dossier OLFACTION & EMOTIONS. Tribune d’Océanie

Sandrine Teyssonneyre est aromatologue, auteur, conférencière et passionnée par la parfumerie, après une carrière dans les relations internationales qui l’a menée de Nouméa à New York, en passant par Paris et Bangkok. Elle écrit sur les matières premières de l’aromathérapie et de la parfumerie, d’un point de vue de l’histoire connectée. Sa page Facebook Orarôm offre plus de 200 articles en source ouverte sur les matières premières de l’aromatologie.

Sandrine Teyssonneyre

“Tout sent. Même produire un alcool inodore pour la parfumerie est un défi. Guidés par Descartes, nous avons eu l’hubris de croire que nous étions en pensant, alors qu’il nous suffisait d’ouvrir les narines. Or, que nous arrive-t-il en 2020 pour nous rappeler à l’ordre de nos sens ? Une maladie qui tue en étouffant, dont un des premiers symptômes est l’anosmie (l’incapacité à sentir) et qui sera bientôt détectée par des tests olfactifs fabriqués en coopération entre maisons de composition de parfums et médecins… Dans la bataille que se livrent Freud et Nietzsche à la fin du 19ème siècle, où le premier argue que l’odorat est juste bon pour les chats alors que le second prône un renversement de toutes les valeurs, Nietzsche a gagné, et l’odorat avec lui.

Sandrine Teyssonneyre

Ici, en Océanie, nous avons la chance de savoir, sans y réfléchir, que nous sommes tout d’abord des bêtes « sentantes ». Tout autour de nous pénètre les narines : d’abord, les embruns de la mer qui sont partout. Si vous vous trouvez en pleine montagne, au milieu de la Chaîne calédonienne, la mer est à 25 kilomètres de chaque côté de vous.

Puis, les effluves de la bourre de coco, de l’herbe et des feuilles omniprésentes, des fruits, du frangipanier qui jonche les trottoirs, des fleurs de Barringtonia Asiatica, belles de nuit qui tombent au sol quand le jour se lève, effluves jasminés des fleurs de faux manguier (le Cerbera manghas) qui, elles aussi, aiment le rivage. Pas d’ylang, qui ne supporte pas la latérite, ni de jasmin, qui a besoin d’une terre plus riche, mais les arômes aigres-doux et pimentés de la cuisine asiatique au sein de laquelle nous tétons depuis l’enfance courent les rues. Odeurs domestiques aussi : celle des tortillons anti-moustique, odeur de l’enfance que j’adore…

Fleur de Barringtonia asiatica
Fleur de Barringtonia asiatica

Plus loin de la capitale, règne le Roi Santal, bois sacré dont l’essence a longtemps baigné ma maison, puisque mon père le distillait. Notre austrocaledonicum, bien connu des maisons grassoises, a un profil olfactif qui mêle puissance et noblesse ; son huile essentielle anti-inflammatoire donne confiance en soi, recentre, calme le chaos émotionnel, attise doucement le désir et procure un sentiment d’autorité paisible et bienveillante.

Mangues vertes
Mangues vertes

L’aromachologie a le vent en poupe : il s’agit de faire travailler nos narines et d’observer l’effet psycho-olfactif, c’est à dire les changements psychiques et physiques que produit une olfaction longue d’huile essentielle ou d’absolu sur une touche. Parmi ces effets peut figurer le réveil de la mémoire, d’où l’utilisation de l’odorat dans le traitement de certaines maladies mentales ou du vieillissement.

L’aromathérapie, quant à elle, soigne par les huiles essentielles, bien que la porte d’entrée de cette thérapie reste l’odorat. L’aromatologie considère les huiles essentielles dans leur totalité. L’olfactothérapie est la marque déposée de son inventeur, Gilles Fournil. Ce que l’on appelle « l’effet subtil » d’une plante se réfère à l’image mentale qu’elle connote : est-ce que la lavande évoque votre mère, votre père, la déesse de la création, je ne sais quoi encore ?

Sandrine Teyssonneyre

L’aromachologie est déjà utilisée en Europe et aux Etats-Unis pour détecter le Covid-19, faciliter la guérison de ceux qui s’en sont remis et réduire l’anxiété des citadins récemment déconfinés. Sentir dans les rues de Paris ou de New York est un acte plus délibéré qu’en Océanie.

On ne nous a pas appris à sentir. Il faut donc redévelopper ce sens oublié pour apprécier la chaleur du poivre, la douceur du santal, la sensualité du jasmin, la suavité du benjoin, la transcendance de la rose, les bulles de champagne de la bergamote. L’odorat colorie notre espace, parce que les odeurs émanent de la nature, et la couleur est également thérapeutique. Le confinement nous a demandé de nous poser, pour mieux sentir.  

L’odorat est donc le résultat des courses de ce premier semestre 2020. Nous savons que la guérison de nos corps et de nos âmes passe par nos narines. Comme diraient les anglais : « The cat is out of the bag ». Ces temps-ci, je rêve souvent de chats…”

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